samedi 27 février 2021

Poème d'Hassan Yacine " La Malédiction "




 Je trouve ce poème, du poète soudanais Hassan Yacine,  au fil d'une lecture dont j'ai déjà parlé ici, " Entre accueil et rejet, ce que les villes font au migrant ". 

Une pépite dans un endroit inattendu, un essai sociologique, entre deux chapitres. Malheureusement ce livre est manquant chez l'éditeur, quelques libraires l'ont, il faut bien chercher. 


Michel Agier (BABELS) l'a publié dans la revue tumulte, téléchargeable à cette adresse

https://www.cairn.info/revue-tumultes-2018-2-page-125.htm 

En voici une partie : 


Je suis une malédiction

Je suis la malédiction incarnée

Suspendu à ma corde secrète

Attaché à l'utérus du ciel

J'entends les cris du vents et les pleurs aux alentours

Je  parle aux fleurs autour de moi et j'admire le chant des murs

Ces murs de l'isolement infini 

Et la peur mon amie secrète

Rien ne me donne le sentiment de sécurité


Vous les passants face à moi

Ne demandez pas la miséricorde en mon nom

Comme pour un pécheur en attente du pardon

Détournez le regard

N'ayez pas pitié de moi

Donnez-moi un sac noir

Pour que j'y rassemble ma désolation

Ma défaite et mon anéantissement

Pour pouvoir le mâcher et l'avaler


Donnez-moi du feu pour que je brûle mes saletés

Je suis une charogne qui empuantit votre air

Jusqu'à vous faire détester vos corps élancés

Parfumés d'essences florales de Paris

Je vous inspire la haine de la race humaine

Mes semblables désarticulés

Ceux qui ont subi les horreurs de la guerre


Je suis une charogne où demeurent les vers

Je ne serai ni leur dernier rêve, ni leur dernière demeure

Ni ce qui reste de leur souvenir, 

J'ignore le dernier jour de ma mort

Laissez-moi reprendre souffle

Fermer les yeux pour me retrouver au paradis


Je n'ai envie de rien

Rien ne me séduit plus

Même pas le baiser de l'enfant que j'aurais pu avoir

Ni la jouissance au moment de sa conception

Ni la pénétration d'une partie de moi

Dans les vagins, berceau de mes espoirs incertains


Priez pour que mon heure arrive vite

Le moindre regard vers moi ne vous inspire que dégoût

Laissez-moi quitter votre monde d'artifices

Où je n'existe pas 

Je suis un anonyme sans identité, sans papiers

Un tas de détritus face à vos portes


Je m'abandonne entre vie et mort

Puisse Dieu me faire ange ou démon, qu'importe

Que ma mort soit subite

Si seulement les fleurs pouvaient pousser sur mon coeur 

Parfumaient les poumons et ornaient les vers 

Alors les battements de mon coeur partageraient la nostalgie du chant des cloches


Vos prières enveloppent ma peur

Mais je ne mérite pas le nom de corps

Parce que c'est mon cadavre pourri qui vous observe...


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