vendredi 17 juillet 2015

ECCO IL NEMICO


La gauche, les peuples, voilà l'ennemi !















Espagne 15 juillet 2015- ( Màlaga)

Le retournement historique que ce pays a subi en très peu de temps, comme l'Irlande, d'exemple à suivre du modèle social-libéral de développement à figure du désastre tout aussi social-libéral , a fini par provoquer la destitution de fait d'une grande partie des élites et des élus pour une population ravagée par le chômage, les expulsions, la misère. Et ce en empruntant un chemin démocratique : du mouvement des indignés de réappropriation de l'espace public (sit-in à la Puerta del Sol à Madrid notamment) et de son corrolaire, la parole politique, jusqu'à la naissance de Podemos. A travers les militants de cette mouvance, une partie grandissante de la population se reconnaît dans cette ambition de prendre son destin en main et d'abord, de transformer la démocratie en abordant l'échiquier politique par le milieu (qui n'est pas le centre, Podemos étant clairement à gauche, mais a à voir avec la "centralité", notion à mon sens proche de la citoyenneté, par opposition au règne du mandarinat politique, comme s'en explique Pablo Iglésias dans l'article de très haute tenue Notre stratégie dans le numéro de Juillet du Monde Diplomatique) bref, de se mêler de ce qui la regarde. Comme toute révolution, - car c'est une révolution citoyenne, elle est d'abord morale, « nous pouvons » parce que nous ne pouvons plus vivre ainsi ! Ce n'est pas un hasard si elle met commence par s'attaquer à la corruption. Basta ! Avant les élections générales de la rentrée, l'accession aux responsabilités locales (mairies de Barcelone et de Madrid, rien que ça !) est une étape remarquable sur ce chemin d'une tentative de renouvellement inédit de la vie politique et d'une approche alternative de la crise économique et sociale. Ce mouvement n'a malheureusement aucun équivalent en Europe, même si en France c'est un peu la mode des « assemblées citoyennes » , des « forums » ou des initiatives de consultations (comme Anne Hidalgo à Paris, Claude Bartolone en campagne) qui font sourire, tant elles sentent le marketing politique à plein nez, voire la démagogie. La base du travail politique de Podemos consiste à modifier en profondeur le fond et la forme de la démocratie. Ils s'attirent pour cela les foudres de toute la classe des élus espagnols. C'est bien autre chose qu'une diabolisation. Là, on hurle pas aux loups tout en incitant les loups à montrer les dents, on ne déplore pas d'un air contrit une fatalité due à l'ignorance et à la misère tout en entretenant précisément l'ignorance et la misère. Non, on organise une propagande de dénigrement basé sur l'équation Podemos = Syrisa= faillite de la Grèce et donc de l'Espagne (exemple de sondage sur une chaîne de télé : craignez-vous qu'en cas de prise du pouvoir par Podemos l'Espagne ne ressemble à la Grèce ? ...victoire du oui 61% ) . Pire, on fait voter une loi sur mesure pour contrecarrer la marée montante. La vieil droite au pouvoir de Mariano Rajoy vient de faire adopter des dispositions liberticides ( remise en cause du droit de se réunir et de manifester, interdiction de l'usage des réseaux sociaux à cette fin, limitation des sit-in, définis comme des agressions contre l'autorité...etc, voir à ce sujet l'article de Cecilia Valdez dans le Monde Diplomatique de ce mois de Juillet En Espagne, un bâillon sur la colère ). Depuis trois ans que Podemos gagne du terrain, s'organise le retour du refoulé (franquiste) à la sauce de l'ordo-libéralisme, sous la forme de cette loi sécuritaire. CQFD : la gauche, c'est-à-dire la plèbe ou le peuple (c'est ainsi que se définit Pablo Iglésias toujours dans le même article), n'a que le droit de se taire...Cette loi, faite pour étouffer Podemos, révèle bien la ligne de fracture politique qui a gagné toute l'Europe et finira peut-être par repolitiser vraiment le débat entre le camp ordo-libéral (c'est à dire le parti diffus qui réunit les puissances de l'argent, celle qui privatisent l'espace public, les marchés financiers, la très grande majorité des élus européens, les journalistes des grands médias, les experts économiques et une bonne partie des intellectuels, groupes que l'on peut tout à fait confondre, tant ils travaillent les uns pour les autres, en jouant malgré tout diverses comédies qui ont pour titre « l'indépendance de l'information » ou encore « le débat parlementaire » , « le rapport d'expertise » etc. ) et tous ceux qui ne s'y reconnaissent pas, refusent l'horizon indépassable de l'économie de marché, et surtout, ne vivent pas dans le même monde, contestent frontalement toutes les institutions anti-démocratiques et génératrices de régression sociale et environnementale. Les gens, oui, la population, le peuple comme on voudra, qui  comprend que l'Europe via l'Euro se construit contre sa propre souveraineté, donc contre  la démocratie réelle ( Lisez l'article Sortir de l'Euro?  du Monde Diplomatique de août 2013, tout y est !), qui refusent contre leur élites que les marchés financiers règnent et imposent des mécanismes meurtriers (ajustement structurels, privatisations, effondrements des institutions sociales). La bête noire, la vraie, de tous les pouvoirs, économiques, politiques, médiatiques ?. Ce n'est pas l'extrême-droite, véritable allié de l'ordo-libéralisme ..et qui s'en accomodera fort bien en cas de victoire (n'oublions pas que le premier laboratoire des théories néo-libérales a été le Chili de Pinochet). C'est la gauche, ce sont ceux qui veulent une refonte de nos institutions, qui veulent un changement réel de paradigme économique... Cette loi-bâillon en Espagne en est bien une preuve...pour un peu, Mariano Rajoy serait prêt à décréter l'état d'urgence pour mettre fin au désordre qui a pour nom Podemos. C'est la dignité même des Espagnols qui est atteinte par ces mesures sécuritaires. 

En France, se dire de gauche, c'est presque raser les murs..("je suis de gauche, non non pas socialiste, de gauche...mais chut on en reparle!"). On l'a compris, quand je parle de la gauche, je ne parle pas de celle qui fait semblant, et qui continue de croire qu'elle l'est ( par "inertie nominale" dit Lordon), exactement comme un agriculteur qui vendrait de bonne foi des OGM sous l'étiquette bio...Se dire de gauche c'est s'attirer au mieux la compassion, un brin cynique, genre « tu y crois encore mais atterris ! », ou les quolibets du type « ah toi, ta référence c'est la Corée du Nord » ou « tu sais que le mur de Berlin est tombé ? » On n'ose même plus dire ce mot, on est « humaniste » (mot qui ne veut rien dire et prouve l'ignorance des benêts qui l'utilisent ),"solidaire" « citoyen », « démocrate » ou « républicain » tous ces mots, qui ont été lessivés et qui sont en fait les vocables de la dépolitisation générale depuis 30 ans, qui n'ont qu'une fonction, tuer la gauche (comme le mot « culture » aussi tiens !) . Je suis frappé par la violence, le mépris, et plus précisément par le ressentiment qu'elle suscite parmi les chroniqueurs de la sociale-démocratie. Et ces jours-ci, chez nous, la gauche est incarnée par Tsipras, tant sa victoire a énervé tout le monde en sourdine...il est piétiné par Jean-Marie Colombani dans un récent article sur Slate.fr (« L'imposture Tsipras »), soumis à l'injonction de démissionner par Arnaud Leparmentier sur France-Inter (Tsipras démission !)... La crise grecque prouve avec éclat qu'en Europe, la gauche ne doit plus être, il faut l'interdire, car il ne peut y avoir d'alternative au libéralisme autoritaire. Donc, comme disait Brecht, il faut dissoudre les peuples : c'est ce qui se passe en Grèce, où des maladies sont réapparues (tuberculose, syphillis), où la mortalité infantile a augmenté de 43% entre 2008 et 2010, la malnutrition de 19 %, les suicides de 45%... Son cas servira d'exemple...les bases mêmes du système européen n'ont qu'un ennemi, les peuples. Il va falloir choisir son camp, comme l'a écrit Gérard Granel, les années 30 sont devant nous.