lundi 16 mai 2011

Ecrire

Parfois, en croisant le visage des gens, leur allure, leur démarche, leur expression, tout ce qu'ils transportent avec eux, j'essaie d'imaginer où ils vont, ce qu'ils vont faire, à quoi ressemble leurs journées. Inventer les détails de leur vie. J'écris de fulgurants romans, juste dans l'éclair d'un regard, le passage d'une silhouette.

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Lorsque j'écris en appliquant des idées, qu'elles soient de fiction - scénario, personnages, situation préconçue, ou de réalités sociales, économiques, etc., l'ennui me gagne. Ecrire me semble alors une sorte de coloriage sans intérêt suivant un tracé préétabli, une "mise en forme". Et ce que je lis me semble cousu du fil blanc de mes intentions. Voilà pourquoi certains livres remarquables et remarqués me lassent. L'écriture tombe, comme désincarnée. Ce qui fait par exemple que je suis perpétuellement partagé entre faire un plan ou ne pas en faire. Il en faut absolument, et il n'en faut pas. Le beau oublie toujours son origine. Au fond, l'écriture doit toujours être un souffle. Et je repense aux livres que Duras lisait avec bonheur : la Bible, Michelet. Ou à cet auteur danois que Rilke appréciait : Jean-Pierre Jakobsen.

samedi 14 mai 2011

MOI, JE PARTIRAI QUAND MÊME

Extrait de Bilal sur la route des clandestins de Fabrizio Gatti (paru en 2007). 
Les données du problème tunisien étaient posées depuis longtemps. Rien n'a été fait, ou plutôt si, les états européens ont aidé la dictature à se maintenir, puis ils ont applaudi la révolution et recommencent maintenant comme avant, à traiter les clandestins comme des délinquants. Le périple subsaharien de "Bilal" ( pseudo de clandestin du journaliste) se termine sur les plages tunisiennes, à deux doigts de l'Eldorado ( Lampedusa). Il y rencontre Mohammed.



"Moi je partirai quand même, même sans visa. Je jure sur Dieu que je pars, dès que je peux, dès que j'ai réuni l'argent. Je m'embarque pour Lampedusa. Je trouverai un travail en Sicile comme pêcheur. Ou bien à Milan comme maçon. Ou alors j'irai récolter des tomates. En Italie, tu respires avec la tête, dit-il. Moi j'ai travaillé en Syrie, Lybie, en Jordanie. Mais l'Europe c'est pas pareil. Chez vous on est libre (...) Ici c'est interdit de se plaindre, c'est interdit d'être pauvre, c'est interdit de chercher une amélioration. C'est interdit d'émigrer. Il faut qu'on déclare tous qu'on est heureux.
 "Si on était plus libres en Tunisie, dit Mohammed. Moi je viendrais pas en Italie. Et ça ferait un clandestin de moins. Mais vous , d'un côté vous nous faites tabasser par notre président et de l'autre vous nous empêcher d'entrer légalement. Et pourtant, chez vous il y a du travail. J'ai un ami à Brescia qui m'a dit que si je le rejoins maintenant, il y a un boulot de maçon qui m'attend. Mais en Italie, on peut seulement entrer comme clandestin. Moi j'y retournerai en barque, comme l'autre fois. J'ai mis de côté 200 euros. Il m'en manque 500(...) En Tunisie, on t'arrête si tu dis ce genre de choses normales, humaines."
Et un peu plus loin : " Avant j'étais un laïc, et puis je me suis rapproché de la  religion. J'ai choisi l'Islam comme philosophie. Pour survivre. Pour chercher une issue de secours. C'est le seul moyen pour pas perdre la tête. Sans un travail sûr, j'ai même pas réussi à me marier. Moi, à trente-huit ans, j'ai jamais eu de fiancée, tu sais ? Ici tu peux pas toucher une fille si tu te maries pas avec elle. Et comment je fais pour me marier, si j'ai pas de travail fixe ? A Milan, c'était pas pareil. J'ai eu quelques copines. Et puis à la fin tu te rends compte que c'était une toxico ou une pute. Et alors à Milan tu te persuades que t'es pas normal, que t'es seulement une bête de somme. C'est pour ça que je me suis rapproché de la religion."

Et à propos des islamistes : " l'opposition tunisienne n'est pas faite d'extrémistes. Les extrémistes tunisiens c'est vous qui les avez élevés. Ces gens, ils étaient laïques quand ils sont partis. Ils sont devenus extrémistes dans les mosquées de Milan, de Vienne, de Londres. Compliments. Alors pourquoi vous demandez pas plus de libertés pour nous ? "