Textes, notes et dessins de Marc-Emmanuel Soriano. Penser ici, émettre. Mes zones nerveuses : la construction du monde, l'affrontement des idées, les raisons d'espérer, le combat par l'intelligence, les vibrations de chair, la musique, l'écriture, la rencontre. Bribes de MA VIE intérieure et extérieure
De la terrasse de la villa on voit, sur la colline d'en face, moitié verdure, moitié bâtiments, la partie la plus fréquentée du centre ville, dont fait encore partie le coteau où je réside, même si une avenue en terre battue mène à la route principale. Ici tout est colline, on monte et descend, par ce grand serpent de route, parfois surveillé par des hommes en uniformes plus ou moins ajustés, plus ou moins réglementaires, qui leur donnent un air de gardien municipal, voire de vigile sympathique ou de soldat occasionnel (rien à voir avec les patrouilles de l'armée rwandaise qui passent parfois dans la ville et que rien n'arrête). Je doute qu'on puisse se perdre dans cette ville, on la traverse par cette route qui a l'air unique, et elle s'étale d'une colline à l'autre autour de cette rivière d'asphalte. Elle ressemble un peu à ces villes de transit, seulement irriguées par les voitures, sans rue et sans promeneurs. Sans labyrinthe. Ces villes qu'enfant, sur la route des vacances, je regardais défiler avec mélancolie, me demandant bien comment on pouvait vivre là, loin de mon quartier et de mes copains.
Je reprends mon cahier de travail, une jungle - morceaux de textes, lambeaux de journal, notes, écrits compulsifs, gribouillages. Et ce matin j'observe ces vignettes, ces bonshommes, ces croquis qui ressemblent à des ratures. Je me demande bien pourquoi, surtout quand je me remets au travail après un long arrêt, j'ai besoin de tracer des sortes de paysages sur la page, moi qui n'ai jamais su dessiner, des plans, des schémas, on pourrait appeler ça, dans certains cas, un story-board. En fait j'ai besoin de voir ce que j'écris, pas les phrases, mais les images. Il y a toujours un moment où je n'arrive plus à écrire sans dessiner. Il doit y avoir un geste commun de l'esprit. Je crois qu'en dessinant, plus que des images, je cherche un contact avec l'espace. Peut-être est-ce le sens du mot fiction pour l'écrivain. Par la fiction, il entre en contact avec les images qu'il fabrique, c'est étrange. Comme si les mots étaient pour lui des petites bêtes en mal d'espace. Pour éclore. Il faut voir pour écrire. Et écrire pour voir.